Uludağ Üniversitesi Eğitim Fakültesi Dergisi Cilt: XIV, Sayı: 1, 2001 L’ANALYSE DISCURSIVE DES LETTRES DE REQUÊTES ET DE PLAINTES Şeref KARA* RESUME Le recours aux textes authentiques dans l'enseignement, apprentissage des langues étrangères vise à activer la compétence de communication de l'apprenant. Nous avons essayé de repérer comment se mettent en phrase des récurrences, des formes fixes, des modèles tant informatifs que discursifs. Nous avons vu la mise en place par notre corpus d'un univers de référence, les mises en formes linguistiques et les opérations de médiations. Comme nous avons essayé de montrer, les discours de notre corpus se réalisent à l'intérieur d'une situation de communication, le sujet qui parle ou écrit et le sujet qui comprend ou interprète. Ces données constituent le cadre de "contraintes discursives". L'identité des partenaires étant très explicites, l'accès des apprenants aux textes est très facile. Mots Clés : Analyse du discours, pragmatique, argumentation, interaction, logique naturelle, communication épistolaire, énonciation, actes de parole. ÖZET Yabancı dil öğretim ve öğreniminde gerçek (otantik) betiklere başvurulması, öğrenen bireyin bildirişim edimini etkin kılmayı amaçlar. Söylemsel olduğu kadar bilgi vermeyi amaçlayan modellerin, değişmez biçimlerin, yinelemelerin tümceye nasıl yerleştiklerini bulmaya çalıştık. Bütüncemizle, göndergeler evreninin, dilsel biçimlerin ve aracılık işlem- * Maître de conférence adjoint à la faculté de pédagogie de l’Université d’Uludağ 179 lerinin betikte yerleşimini gördük. Göstermeye çalıştığımız gibi bütünce- mizin söylemleri bir bildirişim ortamında gerçekleşmektedir: Konuşan veya yazan birey ve anlayan ya da yorumlayan birey. Bu veriler "söylemsel zorunluluk" çerçevesini oluşturmaktadırlar. Bireylerin kimlikleri son derece belirgin olduğundan öğrenenlerin betiklere erişmesi de o ölçüde kolaydır. Anahtar Kelimeler: Söylem çözümlemesi, edimbilim, kanıtlama, etkileşim, doğal mantık, bildirişim, sözcelem, söz edimleri. l.1. L'INTERACTION Ce terme, dont l'origine remonte à 1876, avait pour domaine d'application les sciences et les techniques, ainsi que le verbe interagir. Dans les années 60-70, le mot pénètre le champ linguistique. A sa suite apparaissent les dérivés "interactif, interactionnel, interactionniste, interactant". Nous plaçons d'emblée notre étude sous l'égide de cette famille de mots afin de l'inscrire dans le domaine des échanges langagiers et de la volonté de communiquer. Bakhtine dit: "l’interaction verbale est la réalité fondamentale du langage" (Todorov 1981). Dans le cas de notre corpus, il s'agit d'une communication écrite, mais cette communication semble obéir aux règles les plus élémentaires qui régissent les interactions orales. La différence essentielle entre la conversation et l'activité épistolaire tient dans l'absence seulement physique d'une des deux personnes de l'interaction, à un moment ou à un autre de son déroulement. Nous nous expliquons: le scripteur n'affronte pas "de visu" son destinataire lorsqu'il rédige ses lignes, et le destinataire est privé du moyen direct d'intervention sur le déroulement du discours qui s'écrit. Mais il est indéniable que la construction d'une lettre est habitée par son récepteur, de la même façon que le scripteur existe à tous les instants, depuis l'écriture jusqu'au déchiffrage du message. On ne peut évoquer les fondements de l'analyse de discours sans parler de la théorie de L. Althusser (1976) sur la "déformation imaginaire" qui obéit à des processus constants, et surtout affecte les rapports entre les individus et les énoncés qu'ils sont amenés à produire. Lorsque les individus s'expriment dans le cadre de la représentation sociales, (oral ou écrit), ils montrent toujours des "position de classe". Notre corpus entre dans ce contexte. L'archéologie du savoir de M. Foucault (1969) ouvre des voies différentes de celle de l'althusserianisme et donne une nouvelle impulsion à l'analyse du discours. qui devient l'un des terrains les plus fréquentés des sciences humaines. Les objets l'intéressant constituent des énoncés qui possèdent "une valeur pour une collectivité (...) et impliquent un 180 positionnement dans un champ discursif" (Maingueneau 1991) ou encore comme le précise M. Foucault (1969) le corpus doit appartenir à une institution qui "définit pour une aire sociale, économique, géographique ou linguistique donnée les conditions d'exercice de la fonction énonciative". Notre corpus possède certains de ces critères. Les théories de l'énonciation ne peuvent se satisfaire de tels procédés et choisissent de formuler des hypothèses extra-linguistiques. Ce que nous nommons "discours" est un énoncé considéré dans sa dimension interactive, son pouvoir d'action sur autrui et son inscription dans une situation d'énonciation. Dans le cadre de nos missives, le sujet énonciateur sera nommé le scripteur, et le co- énonciateur -selon le terme de Culioli- s'appellera le destinataire. Nous utiliserons les concepts liés à ces théories: l'embrayage qui concerne l'emploi des personnes de l'interlocution et les déictiques spatiaux et temporels. Nous parlerons aussi des modalisations qui permettent d'étudier l'attitude de l'énonciateur face à ce qu'il dit: y a-t-il une prise en charge assertive ou simplement un acte posé entre le certain et incertain? Probablement le scripteur prononcera-t-il des jugements de valeurs? Ce sont des modalités appréciatives qui s'expriment par le biais de la catégorie adjectivale, adverbiale mais aussi dans le choix des substantifs et des verbes. On se trouve alors en prise directe sur le lexique et nous utiliserons le classement de C. Kerbrat-Orecchioni (1980) pour les adjectifs: adjectifs affectifs, adjectifs non-axiologiques, et évaluatifs axiologiques. Dans le cadre de nos missives de plaintes et de requêtes, nous serons confronté aux multiples traces modales qui attestent et renforcent la présence du destinataire dans les énoncés. Ces modalités couvrent le champ de la permission, de l'obligation et de l'interdiction. Y aura-t-il un profond investissement du scripteur ou bien son effacement? Le destinataire sera-t-il inclus jusqu'à devenir l'agent du procès? Toutes les possibilités sont à envisager. Les temps de l'énoncé permettront de retrouver la célèbre distinction qu' a faite E. Benveniste entre discours et récit. Le passé simple est le temps de base du récit, et le passé composé du discours. Nous pouvons aussi voir dans discours et récit, deux concepts grammaticaux: le discours est une énonciation rapportée à sa situation d'énonciation et montrant des marques d'embrayage et de modalisation, tandis que le récit efface ces mêmes marques en donnant l'illusion d'événements se racontant par eux-mêmes. Les termes mis entre guillemets s'apparentent aussi à la notion d'hétérogénéité. Les travaux de J. Authier nous sont précieux et permettent de meilleurs hypothèses sur cette opération de mise à distance. Comme le précise D. Maingueneau (1991): "C'est que les guillemets constituent avant tout un signe construit pour être déchiffré par le destinataire". L'emploi des 181 guillemets fait aussi partie du jeu subtil des représentations: image que le scripteur se fait de son destinataire. l. 2. LA PRAGMATIQUE Même si nous avons déjà évoqué plusieurs thèmes qui s'apparentent à la pragmatique (en particulier à propos de faits liés à l'énonciation), nous conservons une place toute particulière à cette problématique. Alors que l'énonciation se rattache plutôt à la tradition linguistique européenne continentale, la pragmatique est anglo-saxonne à son origine et développe ses théories autour de la notion des actes de parole. C'est le philosophe britannique J. Austin qui a émis l'idée "que le sens d'un énoncé ne serait que l'état du monde qu'il représente, indépendamment de son énonciation" (Maingueneau 1991). "Énoncés performatifs" et "énoncé constatif" se retrouvent pour former ce que l'on appelle des actes de langage mais surtout ces actes sont qualifiés d'illocutoires. Si les relations entre les personnes (scripteur et destinataire dans notre cas) sont privilégiées et fortes, alors l'illocutoire abonde: les lettres de plaintes et de requêtes sont le lieu où l'on trouve à coup sûr une demande, une suggestion, une mise en garde, peut-être même une menace. L'illocutoire indique l'intention sous-jacente de celui qui énonce, l'acte de langage qui est alors accompli. Le destinataire, pour que l'acte soit réussi, doit comprendre ce qui lui est demandé. Cette notion de réussite est importante, mais elle n'est pas seulement liée à des contraintes grammaticales. D'autres conditions rendent un acte de langage pertinent ou non. Nous utiliserons cette notion dans notre analyse car elle a une importance capitale et montre que des paramètres aussi différents que l'éventuelle supériorité de l'énonciateur, sa sincérité, son autorité reconnue (ou trop discutée), mais aussi la possibilité simplement matérielle pour le destinataire d'accomplir ce qu'on lui demande, tout cela crée un réseau de droits, d'obligation qui lient scripteur et destinataire. l. 3. L'ARGUMENTATION Comme nous l'avons déjà plusieurs fois mentionné, le but des lettres de plaintes est de faire adhérer le destinataire à la thèse défendue par le scripteur. A ce point de discours apparaissent la notion d'argumentation et les travaux de O. Ducrot et J.B.Grize auxquels nous empruntons quelques données essentielles. 182 Comment persuader autrui? Quels sont les moyens linguistiques dont dispose le sujet parlant pour orienter ses énoncés et atteindre son objectif? Avant de répondre à ces questions essentielles grâce à notre corpus, il est bon de donner le cadre général de l'argumentation et de s'appuyer sur des mots-clés. Comme le dit Vignaux (I978): "Tout discours peut dès lors, être encore considéré comme "argumentatif" au sens qu'il va traduire la nécessité pour son sujet de s'affirmer et d'affirmer un savoir, une "impression", une "vision", autrement dit une certain représentation d'une situation ou d'un domaine déterminé". Nous soulignons nous-même le terme de représentation qui exprime bien la reconstruction faite par le sujet écrivant à partir de la réalité observée. l. 4. LA LOGIQUE NATURELLE Comme le dit Grize (1990): "L'activité du discours sert à construire des objets de pensée qui serviront de référents communs aux intérlocuteurs". Nous emprunterons à ce linguiste suisse la notion de schématisation. A l'origine du discours existe un événements dont le scripteur va donner une représentation pour son destinataire. Mais pour réussir, pour rendre sa communication plus vraisemblable, le scripteur donnera aussi une représentation de lui-même, de son destinataire et encore de la situation de communication qui les lient. Nous résumons pour simplifier, car l'on pourrait doubler chacune des représentations ci-dessus en voulant affiner à l'extrême le modèle d'analyse. Tous ces modèles se superposent, s'interpénètrent et même peuvent se modifier en chemin car le scripteur se doit lui aussi d'imaginer puis d'intégrer les représentations faites par le destinataire, afin de rendre sa propre argumentation plus efficace. Notre corpus nous permettra de vérifier ces hypothèses. l. 5. LES STRATÉGIES ARGUMENTATIVES A partir de ces notions, on voit l'importance du statut du scripteur (statut véritable ou statut reconstruit, mis en scène pour la circonstance) et celui du destinataire, (comportant la même distinction subtile), l'importance aussi de l'univers de croyances de celui auquel on s'adresse. En effet, le scripteur se doit de pénétrer dans ce monde pour mieux y puiser à l'avance la contre-argumentation qui lui est nécessaire. Nous utiliserons aussi les notions de présupposés et de préconstruits culturels pour tout ce qui est donné comme partagé. 183 L'argumentation langagière fait aussi appel à l'implicite qui n'est pas "une lacune dans un propos (...) mais constitue une dimension essentielle de l'activité discursive". (Maingueneau D.1991). L'argumentation utilise encore bien d'autres moyens pour être efficace et notre corpus en illustrera certains: l'appel à l'opinion publique, la référence à l'exemple connu, à l'autorité supérieure et l'illustration sous toutes ses formes, sont aussi des procédés qui renforcent l'argumentation. l. 6. LA COMMUNICATION ÉPISTOLAIRE Quelles lettres choisir pour un travail centré sur l'enseignement du français langue étrangère? Les communications personnelles et amicales, par leur variété et leur contenu informel, sont d'un abord difficile. En revanche, la correspondance fonctionnelle offre à un apprenant étranger une approche plus facile et pédagogiquement fructueuse. Chacun est amené à pratiquer dans sa vie une telle correspondance, quels que soient son origine, son niveau social et sa compétence épistolaire. Une lettre bien argumentée vaut toutes les communications téléphoniques, car elle seule peut avoir valeur de preuve. Et la plainte écrite est une construction rhétorique qui met en jeu tous les processus argumentatifs du langage. L'intérêt argumentatif de ces lettres se doublent d'un apport socioculturel. C'est en réunissant notre corpus, en recensant les domaines différents auxquels sont adressées les plaintes et les requêtes, que cette conclusion s'est imposée. Chacun peut envoyer une lettre à la personne ou à l'organisme de son choix. Rien ne vous empêche d'écrire au Président de la République ou à votre voisin. Une réserve cependant: faire une demande ne donne pas la certitude d'être entendu et "récompensé". La réussite de ces lettres tient dans l'habilité de l'argumentation mais aussi (et surtout) dans d'autres caractéristiques plus subtiles. l. 7. LA CONSTITUTION DU CORPUS Nous avons regroupé trente missives répondant aux critères suivants: connaissances du scripteur, du destinataire ou de la situation présentée, variété des scripteurs (autant que possible), variété des destinataires, des situations claires Nous avons voulu analyser la progression d'un conflit, deux étapes d'un litige. Les représentations se modifient, les paroles deviennent plus fortes, ou plus conciliante. Enfin nous avons essayé de couvrir au mieux tous 184 les domaines qui nous entourent mais en trente lettres c'est impossible, il nous a fallu de choisir. Ce corpus ainsi constitué nous semble obéir aux conditions établies par M. Foucault (1969). Il est partie prenante dans une institution "qui définit pour une aire sociale, économique, géographique ou linguistique donnée les conditions d'exercice de la fonction énonciative". l. 8. LES RETICENCES FACE A L'ECRIT Il est vrai, que de nos jours, ces lettres sont les seules occasions de produire de l'écrit dans une société où l'écrit justement possède une représentation forte. Tout ce qui concerne les lois, les pièces à conviction, les preuves d'un savoir, les certifications officielles, passe par l'écrit qui voit sa fonction davantage sacralisée alors que sa pratique décroît. Ces écrits survalorisés ont tendance à effrayer ceux qui prennent la plume, non par plaisir, mais par obligation. Les circonstances qui les exigent sont justement les moments où l'être humain se trouve déstabilisé, infériorisé face à une situation extérieure. Toutes les demandes ou les plaintes que nous avons réunies sont profondément motivées. Ce ne sont pas des actes gratuits de protestation. Dans les missives de notre corpus, si le scripteur affronte l'administration, son voisin ou son dentiste, c'est que des circonstances fortes l'y poussent. Comme le dit F.Debyser: "La douleur, la colère, l'insatisfaction déclenchent le langage" (Debyser 1980: 12). Ceux qui protestent dans les journaux ont les mêmes motifs: pour une lettre qui félicite à propos d'une émission de télévision, dix formulent des reproches. ll. L'ANALYSE DU CORPUS ll. 1. L'APPROCHE SITUATIONNELLE ET LES OPERATIONS DE MISE EN TEXTE La grille d'analyse la plus simple pouvant convenir à l'ensemble de notre corpus est celle de l'analyse situationnelle. C'est en ce sens qu'un apprenant étranger trouverait dans chaque lettre la description d'une sorte de microcosme de la société de la langue cible avec un aperçu du domaine, de ses acteurs, de son code de fonctionnement et du lexique qui lui est attaché. Une telle analyse permettrait aussi de vérifier la fonction de communication du langage avec ses opérations élémentaires de mise en texte. Communiquer un désaccord à quelqu'un c'est informer sur ce qui s'est passé, choisir des mots qui désignent ou représentent les différents éléments de la réalité. 185 Nous étudions la missive (2): l'opération de référence permet de nommer les personnages: des étudiants qui seront plus loin appelés les enseignants, les salariés, les inscrits, des substantifs différents selon l'information qui leur est attachée au fil des énoncés. Pour éviter les répétitions, les pronoms prendront le relais, parfois affectés de quantification, nous, la majorité d'entre nous, certains d'entre nous. Des précisions seront données sur le lieu, au secrétariat, les dates, le 16 octobre, le 6 novembre, le premier jour, le mercredi, etc... Les opérations de caractérisation permettront de mieux connaître les activités des acteurs, les tâches qui leur incombent, les difficultés auxquelles ils se heurtent. Enfin les opérations d'énonciation sont celles qui concernent le degré d'implication du scripteur dans son énoncé. ll. 2. L'EXPRESSION DU MÉCONTENTEMENT La notion de plainte nous ayant fourni le fondement et la cohésion de notre corpus, nous allons étudier les réalisations de surface qui rendent compte du préjudice subi. Sans ce préjudice, il n'y aurait pas ce type de correspondance fonctionnelle. "On ne parle ni n'écrit jamais sans quelque raison", souligne J.B. Grize (1990) à propos des finalités de la communication. 26 missives de notre corpus contiennent une plainte et se répartissent en deux séries selon que nous avons pu ou non leur appliquer la grille d'analyse pressentie. 13 lettres sur 26 ont en commun le recours à un terme générique. La démarche se situe 9 fois en début de lettre et le terme a un rôle cataphorique. 2 fois c'est à peu prés le milieu de la lettre qui est choisi, le lieu où le scripteur réunit des faits déplorés et peut préparer des énoncés parallèles. Dans 2 autres cas, la réalisation se fait en fin de lettre et fonctionne en anaphore, telle une synthèse effectuée avant d'aborder la requête liée à la plainte. Une réalisation se fait en sujet, ma surprise fut grande (24), une autre en sujet inversé, commandé par l'antéposition de la circonstance: à l'occasion de cette consultation se sont produits plusieurs faits surprenants (1). Ces deux tournures relèvent d'une certaine recherche de style et appartiennent déjà à l'image que le scripteur veut donner de lui-même. Du point de vue lexical, nous pouvons classer le terme générique en trois séries: - soit le mot a un contenu neutre, comme faits (25). Situé en fin de lettre, après un exposé détaillé, il a pris tout son poids d'accusation; ou bien une appréciation péjorative lui est associée: plusieurs faits vraiment surprenants (1). Ce sont les deux occurrences de ce terme. 186 - soit le mot de la neutralité: 3 occurrences de surprise avec à chaque fois une appréciation affective utilisant un adjectif subjectif: grande surprise (24), désagréable surprise (16), énorme surprise (26). - soit le mot est fortement chargé d'une connotation négative, ce qui évite l'adjonction d'appréciatif. Tous ces termes sont des pluriels et apparaissent plus denses. L'étude des verbes-pivots réduits à 12, permet une répartition dans trois catégories selon que l'on constate la volonté de décrire seulement (se produire, avoir, être, plusieurs occurrences), d'informer (signaler, informer, faire connaître), ou de pénétrer plus avant dans le domaine affectif (éprouver, se plaindre, connaître). Quels moyens linguistiques dénoncent les faits condamnables aux yeux du scripteur? Nous citons la forme la plus répandue dans notre corpus, la négation de l'assertion simple ou amplifiée par un adverbe plus fort sémantiquement: pas devient, plus, jamais, renforcé parfois par encore ou toujours. Cette assertion peut porter sur: le scripteur : je n'ai pas reçu à ce jour (15) le destinataire : vous ne m'avez toujours pas renvoyé (7) un objet: ce remboursement n'est pas effectué (3) ou recourir aux indéfinis : aucun, pas un aucune révision de ma déclaration (15) il n'y avait aucun agent (28) ll. 3. LA PRISE EN CHARGE DE L'ÉNONCIATION L'opération la plus importante dans un texte est l'inscription de son scripteur. Chaque lettre de notre corpus est un acte de soi, un acte dans lequel et par lequel l'individu se dit, s'investit et s'implique nécessairement. En haut à gauche (à droite pour la lettre (8)) sur chacune de ces missives figurent un nom, une adresse, parfois un numéro de téléphone. Cette pratique commode est enseignée par les habitudes de la communication fonctionnelle et connue de tous nos scripteurs. Par souci d'anonymat nous les avons fait disparaître de notre mieux. Dès le premier mot de la lettre, le scripteur se doit de faire un choix. Cette opération est celle du positionnement de l'énonciateur par rapport au sujet de l'énoncé. A une très forte majorité, 28 lettres sur 30, notre corpus montre des énonciateurs prenant explicitement leur texte en charge. En surface apparaît JE (et ses variantes ME, M', MA, MON, etc.). Dans ce cas sujet de l'énoncé et de l'énonciation coïncide. Alors l'attention se focalise sur celui qui a pris la parole avec JE et ressort le lien intime qui unit le scripteur à sa demande. Ce JE permettra à tous ceux qui l'emploient de se présenter, de s'identifier et de prendre une part importante dans l'interaction en cours. 187 A côté de JE se trouve NOUS, pluriel de JE représentant de nombreux étudiants (2). Il s'agit d'un groupe structuré autour d'intérêts communs. Le statut énonciatif est donc identique au JE précédent. Il en est de même pour les missives (10), (16), (18), qui commencent en employant JE et poursuivent avec NOUS car en cours d'énoncé sont arrivées d'autres personnes. NOUS renvoie à deux sœurs et leur mère (21). Les groupes réunis dans ce NOUS sont facilement identifiables à un moment ou à un autre des lettres. Par ailleurs NOUS (ou ses dérivés NOTRE, NOS) renvoie quatre fois à un groupe (des voyageurs, des habitants), même si les autres personnes ignorent être associées à une quelconque plainte. Le voyageur qui prend le TGV (29) dit notre convoi: il semble que le fait de vivre des déboires avec d'autres personnes autorise le scripteur à parler au nom d'un groupe éphémèrement constitué à l'occasion de mésaventures. Nous avons attendu (30) lors d'un retard d'Air France, nous n'avons pas été épargnés (11), en évoquant les bruits de la voirie dans le quartier de l'Horloger. Quant à notre compagnie nationale (30), le possessif dépasse les voyageurs du vol cité pour regrouper tous les citoyens férus de nationalisme. Tous ces NOUS constituent d'une façon évidente une sorte de "coup de poing" discursif posant la parole comme commune sans avoir besoin de faire parler les sujets intégrés et sans même demander leur approbation! Enfin NOUS, deux huissiers de justice prennent la parole au nom d'un couple de plaignants (9). Ces personnes, issues d'un milieu fort modeste, n'ont pas osé (ou voulu) écrire à leurs voisins (des personnes "de la ville", position sociale élevée, ayant une résidence secondaire, celle de la lettre) et se sont abritées derrière le statut officiel de deux huissiers pour émettre leur plainte. Dans les lettres alternent les formes nous vous mettons en demeure de, et ILS représentant les personnes qui ne se sont pas exprimées en NOUS. Notre corpus présente des occurrences de ON en nombre limité. Grâce au contexte se saisissent mieux le sens et la portée de ce pronom. ON peut être une seule personne dont le rôle, ou plutôt la représentation que s'en fait le scripteur, déplaît. Le photographe amateur qui pense posséder les connaissances du professionnel accepte mal les réponses de quelqu'un dans un laboratoire. Cette personne devient on me donne tous les torts, on m'affirme (26), un être soudain indéfini et rejeté dans l'anonymat que lui valent ses propos, jugés probablement inacceptables. ON peut renvoyer au groupe social en général, à ses préoccupations: l'on parle de stress (11): tout le monde en parle. ON permet à un scripteur une fois bien "posé" dans sa représentation d'émettre un avis général, sorte de leçon de morale adressée à la présidente de jury qui semble peu digne de son titre d'enseignante: On serait en droit d'attendre (1). La forte modalisation accentue l'impression de mise à distance instaurée entre la 188 personne incriminée et son juge. Quatre autres emplois de ON participent à la représentation des scripteurs des lettres (26) et (1). Nous les commen- terons plus loin. Seule la dynamique des énoncés permet d'interpréter ce que dissimulent les formes de surface. La forme impersonnelle IL apparaît 9 fois dans notre corpus. Nous remarquons d'emblée que ce pronom est une seule fois le premier terme d'une lettre, et ce dans un contexte très particulier (25). Un titre figure en haut et à gauche de la feuille, colonel, mais la personne n'a pas voulu prendre son énoncé en charge avec JE. Il s'agit d'une plainte adressée au domaine du scripteur, à l'Armée de l'Air (le bureau des anciens élèves plus exactement). Comment dire à ses pairs que l'on a été victime d'un vol et d'un comportement trop zélé de la part des serveurs, à un gala d'Anciens? Le scripteur choisit de donner son avis sans dire JE, mais aussi de généraliser le malaise qu'il a ressenti. Il est désagréable de, répété deux fois, au début de chaque paragraphe, donne un ton particulier à cette plainte qui n'est pas assortie de requête. L'impersonnel est ensuite relayé par VOUS, incluant tous ceux qui pourraient vivre la même mésaventure: vous aviez laissé une bouteille de champagne. Ce jeu de pronoms, ces traces d'une énonciation particulière, permettent d'imaginer un univers à part, un univers de pairs qui ne peut admettre la transgression de certaines lois. Le même "vol", appelé ici disparition, aurait été différemment déploré s'il s'était passé dans un banal restaurant. Une occurrence de dissimule sous l'impersonnel la présence de JE énonciateur qui ayant acquis un certain statut par son dire s'efface derrière un énoncé à la fois évaluatif et déontique: Il serait donc utile de (2) Deux autres fois, IL permet de saisir la trace du destinataire: (1) Ne serait-il pas possible = ne pourriez vous pas...,(20) Il est plus facile de contrôler = vous contrôlez plus facilement Deux énoncés évitent avec IL de donner un avis personnel et permettent à l'énonciateur de prendre du recul: IL est donc surprenant (2), Il est quand même difficile d'admettre. (3) Quant à F. Sagan (8), écrivant: il m'aurait paru plus normal, elle déguise sous cette moralisation une leçon de politesse adressée précautionneusement à un PDG, remercier est évident entre gens civils. Nous nous sommes longuement arrêtée sur toutes ces formes d'énonciation car elles annoncent déjà une stratégie argumentative. Le recours à l'impersonnel nous semble montrer une position "haute" de la part du scripteur qui se permet de juger ou de conseiller dans des situations où son bon sens devrait l'emporter. 189 ll. 4. RÉCIT ET RÉALITÉ, ANCRAGE DANS LE TEMPS, LE LIEU ET L'ESPACE SOCIAL Nous l'avons remarqué au début de cette étude: le récit des faits dénoncés s'apparente souvent à celui d'un fait divers par l'extrême précision des détails qui le jalonnent. Pour que le destinataire soit persuadé du bien- fondé et surtout de la réalité des dires, le scripteur se doit d'ancrer le tout dans un réel incontestable. Il s'agit d'abord de la réalité du temps, de la date marque d'énoncé, en haut et à droite de la feuille. Puis surviennent d'autres dates, celles des faits, marques d'énonciation: le mercredi 18 octobre, (12), le 20 juillet 1994, j'ai adressé (3) A partir de ces marques d'énonciation d'autres événements viennent se greffer par référence et participent à la progression du texte. en milieu d'après-midi, le soir même, par rapport au jeudi 25 mai 94, vers 21 heure. Au passage, l'on peut signaler qu'un fait s'est répété plusieurs fois: à plusieurs reprises (23), (9), encore une fois (23) et ainsi lui donner plus de poids en permettant de faire deviner sous les mots la patience du scripteur face à ces "agressions" renouvelées. Les précisions apportées sur les lieux, celui de l'énoncé, ceux des énonciations diverses, permettent aussi d'ancrer les dires dans la réalité. Toutes les prépositions variées sont utilisées, à Massy (19), en région parisienne (20), dans la station (19), sur la ligne B (20), à la clinique (23), au secrétariat (2). Nous nous arrêtons un instant sur ce lieu d'inscriptions pédagogiques de Paris III, le secrétariat et nous remarquons l'habilité des scripteurs ayant effacé les agents de l'action au profit d'un lieu. Ils n'ont pas voulu mettre en cause des personnes, une secrétaire par exemple. De nombreux étudiants se sont vu refuser au secrétariat (2) et non par le secrétariat. Au et non par, choix délicat et habile d'une préposition qui permet de renseigner efficacement les destinataires sur l'intégrité et la bienveillance des scripteurs. Leur plainte sera d'autant mieux reçue. L'ancrage des dires dans la réalité se fait aussi par les nombreuses précisions de tous ordres qui modifient le domaine, en changeant l'éclairage du récit. La missive (25) installe un décor romanesque: une piste de danse, une table, une bouteille de champagne entamée. Puis surgissent le numéro de la table, la caractérisation rouge de l'appareil photo, la marque de celui-ci. Nous sommes déjà dans un univers hautement socialisé et répertorié où les objets officialisés seront l'enjeu de tractations futures nullement gratuites (remboursement, dédommagement, indemnités). 190 ll. 5. LES ACTES DE PAROLE DE LA PLAINTE Les actes de parole recourant rarement aux performatifs qui les décrivent, l'on ne sera pas étonné de l'absence du verbe se plaindre dans tout notre corpus. Nous le rappelons ici: une plainte est avant tout un acte d'informer. Cette volonté du scripteur est parfois soulignée par le recours à un tour ritualisé: Je tiens à porter à votre connaissance, mais la présence de ce tour est surtout significative d'une "place" d'énonciation revendiquée par le scripteur. Un colonel écrivant à ses condisciples (25), et deux lettres adressée l'une, au directeur du service interacadémique des examens et concours (1), l'autre, à un receveur de la Poste (12), signalent d'emblée un énonciateur en position "haute". La mère de famille s'adressant à son marchand de chaussure habituel choisit plutôt ce tour (10): Je tenais à vous mettre au courant. La pragmatique recherche l'intention de celui qui écrit et dans notre corpus celle-ci s'impose même lorsqu'elle n'est pas précisée par ces formules fonctionnant en anaphore ou en cataphore. La volonté d'informer est l'acte de parole principale des missives de plaintes. A la suite de cet acte, ou même avant lui, les autres actes jouent un rôle subordonné dont la hiérarchie va permettre l'organisation du discours. Chaque énoncé va présenter une série de micro-actes destinés à justifier la requête et surtout à la rendre efficace. La recherche de ces actes a été essentielle pour parvenir à l'élaboration du programme destiné aux apprenants étrangers. ll. 6. LES MODALITÉS APPRECIATIVES Les scripteurs, pour la grande majorité, ont choisi de s'inscrire personnellement dans les actes d'informer qui constituent la plainte. Nous avons déjà évoqué ces appréciations par lesquelles s'exprimaient le mécontentement. Nous tentons une synthèse d'outils linguistiques utilisés pour apprécier ou évaluer: les faits eux-mêmes et leurs conséquences, les différents acteurs, les attributs ou objets utilisés dans le cadre des actions dénoncés. Cela peut être le sens de l'hygiène pour un médecin (23), ou simplement une main pour quelqu'un chargé de recopier une adresse (13). Seront alors employés des substantifs, des adjectifs ou des adverbes dits "subjectifs", voire des verbes jouant la même fonction. Nous ne manquerons pas de faire des relevés précis concernant telle ou telle missive 191 dans les chapitres qui suivent en particulier pour les représentations. En effet, comme le dit D. Maingueneau (1991): "Énoncer certains termes, c'est aussi signifier (aux deux sens du mot) la place d'où l'on énonce". Notre corpus est très riche dans le domaine de l'appréciation et nous avouons que c'est par là que ces lettres nous ont constamment intéressés. lll. LE RÉCIT lll. 1. LA MISE EN SCENE DU RÉCIT Ajouter des faits les uns aux autres n'est pas suffisant pour constituer un texte cohérent animé d'une progression logique évidente. Savoir "mettre en scène" son récit est certainement un atout pour le scripteur qui jouent ainsi plus ou moins consciemment avec les représentations. En effet, celui qui écrit sait de quoi il parle et possède déjà pour lui-même une schéma- tisation des faits vécus. Comment va-t-il la transmettre au destinataire? Deux lettres se détachent de notre corpus par la mise en scène qui en ressort. A force de les relire, l'idée nous est venue qu'une trame connue les habitait et les animait. Celle du conte dont nous rappelons le schéma simplifié: AUXILLIAIRES HEROS QUETE OPPOSANTS Cette trame efficacement développée dans les missives (1) et (2) existe plus discrètement dans les situations (18): la famille victime du gérant de biens, (19): la jeune fille et la RATP, ou même (23): la jeune malade et les hôpitaux. Nous schématisons à dessein, mais certains traces de surface nous ont paru trop évidentes pour être passées sous silence. Il suffit d'observer plus rigoureusement les constituants des énoncés pour remarquer une utilisation. Il nous a donc paru intéressant de noter que parfois la réalité empruntait la schématisation de la fiction pour être rendue plus crédible. Un corpus plus large permettrait de mieux apprécier cette piste. 192 La grille appliquée aux missives (1) et (2) pourrait être la suivante: ACTIONS CARACTERISATIONS Actif Passif Positives Négatives Nous la commentons en reprenant certains composants de la lettre (1). Nous notons les passivations suivantes: être interpellée, et priée de sortir, être à nouveau prise à partie, actions qui brusquement mettent l'accent sur l'agent inattendu: une personne jusque là inconnue, et focalisent le regard sur le résultat constaté. Nous notons encore la forte modalisation de elle a dû remettre (...) et subir, concernant "la victime", et enfin les actes de parole qui utilisent un lexique expressif: mettre en cause, intimer, menacer. Tout cela a pour effet sur la violence de "l'adversaire" et la "passivité innocente" du héros, ici une héroïne et son auxiliaire. Les caractérisations appartiennent à un vocabulaire presque manichéen, les adverbes tout à coup, violemment, immédiatement, les adjectifs discourtois, désobligeantes, à haute voix, appliqués tous trois à des actions de l'opposant, font ressortir les images constamment positives du héros et de son auxiliaires: avec pour seul objectif de, je me suis de bonne foi sentie autorisée. Nous remarquons encore la nominalisation, une interpellation et le recours à plusieurs termes abstraits agressivité, sérénité des notations et des avis, (absence de) discernement qui analysent les relations d'une façon reculée, comme mises à distance. Nous signalons au passage d'autres énoncés "riches" qui empruntent d'autres "styles" de narration. La missive (11) adressée à la mairie du IIIème adopte le ton d'un "billet d'humeur" tel qu'on le trouverait dans un grand quotidien, la plainte (13) oscille entre l'humour et la colère, la lettre (14) instaure presque un dialogue légèrement différé. lll. 2. UNE TRANSFORMATION PRIVILÉGIÉE: ACTIF/PASSIF En ce qui concerne l'expression des faits dans un récit, sa réussite tient aux variations de regard rendues possibles grâce à des opérations de transformations. Nous rappelons que les lettres de plaintes sont l'occasion de produire "du dire" à propos "du faire" passé. Ce "faire" concerne des actions vécues par le scripteur ou par la personne dont il défend les intérêts. Le français permet grâce à la tournure actif/passif de présenter différemment ces êtres et ces objets. 193 On sait que "dans tout énoncé le terme de départ de la relation prédicative -celui autour duquel l'énonciateur choisit d'organiser la représentation- doit être instancié" en relation avec "l'énonciateur", selon Culiolli repris par L. Danon-Boileau (1987). Dans nos exemples, le scripteur choisit donc de commencer son énoncé par l'objet qui lui importe. Cette technique focalise l'attention sur cet objet tandis qu'éventuellement l'agent de l'action s'efface. Nous l'avons déjà évoqué pour (2) en commentant les visées du scripteur. La missive (23) plus particulièrement joue sur ces habiles transformations et focalisations successives. Nous tentons une synthèse de toutes nos observations: 1- Toute activité de la mère qui rend compte d'une action destinée à soigner son enfant est à l'actif: je présentais ma fille, je soulignais encore une fois le problème 2- Lorsqu'un médecin accepte enfin de s'engager, il acquiert par l'actif une sorte de reconnaissance. Un rapprochement s'opère alors entre le terme à la tête du prédicat et le scripteur: le docteur nous rassura, nous conseilla 3- La jeune fille en tant que victime est sujet d'une tournure passive: a été hospitalisée puis la personne s'efface, remplacée par des diagnostics: une fracture fut diagnostiquée, traitée, une inflammation était signalée, dédaignée. La forme passive marque le fait d'être subi et cela souligne l'énonciateur comme victime. On assiste à un effacement quasi-magique des praticiens qui ne s'intéressent plus aux faits. 4- La jeune fille redevient ACTIVE lorsqu'elle quitte l'hôpital ou lorsqu'elle effectue avec sa mère des démarches positives: Nous nous présentons, Elle vient juste de sortir lll. 3. LE TEMPS DU RÉCIT Les lettres de plaintes s'apparentant à l'exposé de faits divers vont jouer sur la combinaison habile des temps du récit en privilégiant à la fois l'avancée du texte et sa cohésion. La réalité des faits décrits ne doit pas être mise en doute par le destinataire. C'est pourquoi la majorité des scripteurs choisit d'exprimer les assertions au passé composé, afin de renforcer l'affirmation de leur existence. Nous prenons la lettre (19), parmi plusieurs autres du même type: Ma fille s'est aperçu...s'est retrouvée, Ma femme a emmené...s'est entretenue... Ces formes se doublent d'un aspect accompli, achevé: l'on ne peut revenir sur ces événements. Si des faits sont antérieurs à ceux-là, alors on pourra au plus-que-parfait: elle avait utilisé, on lui avait volé, ou au passé composé dans un contexte au présent. Si des actions impliquent une certaine 194 durée, Ils indiquent qu'ils vous ont demandé (9), c'est l'imparfait, lié à une date: le soir même le personnel téléphonait. Dans d'autres contextes, cet imparfait se rattache encore à des déictiques: Autrefois, seules les matinées étaient reposantes (11), Le 3 Octobre 1994 je présentais (23), Ce ne fut que fin Octobre que je consultais (23) Tandis que des actions se succédant et représentatives du déroulement du récit s'écrivent au passé simple: le docteur nous rassura et suppléa (23). Il s'agit là de toutes les caractéristiques d'un récit situé dans le passé. Cependant le scripteur peut choisir d'actualiser son exposé des faits et d'augmenter ainsi le réalisme. Toute l'atmosphère du quartier de l'Horloge, la nuit et à l'aube est exprimée au présent: Des machines trépidantes se mettent en marche, circulent...(11) Quant au présent: ce quartier où la résonance est grande (11), il peut être celui de l'opinion commune. Dans la lettre (15), toute une succession de faits entre Juin 89 et Juin 90 est au présent, chaque fois lié à un déictique: Au mois de...je vous envoie, Je vous demande alors, En Décembre, je vous téléphone, En Juin, je n'ai... Des futurs sont significatifs par rapport au présent de l'énoncé pour indiquer une postériorité, un espoir, une solution positive et imposent une solution positive: Au mois de Septembre, j'aurai à m'acquitter (17), Je pense que cet échange s'effectuera (24). En fait la plus grande place dans notre corpus est faite au présent. Le temps est en liaison avec la marque de l'énoncé, (la date du jour de la lettre). lV. LES REPRESENTATIONS lV. 1. LA REPRESENTATION DU SCRIPTEUR Selon J.B. Grize (1990) "Quiconque parle ou écrit s'offre nécessairement au regard". En effet la consistance du scripteur va se forger avec l'avancée du discours écrit et s'imposer graduellement au destinataire. Quels éléments vont ressortir d'une texte à l'origine centré sur une plainte et non sur celui qui la rédige? Comme le dit encore Grize (1990): "On ne représente jamais une personne mais certains de ses aspects, ses savoirs, ses valeurs". Il est utile de rappeler ici que notre corpus, fourni par des personnes à l'aise face à l'écrit, va vraisemblablement offrir beaucoup de pistes de recherches dans le domaine des représentations. Nous ne pourrons les développer toutes, mais nous ne manquerons pas de les indiquer lorsqu'elles apparaîtront. Les premières représentations des scripteurs ressortent de l'étude de l'embrayage linguistique, plus précisément des personnes de l'interlocution. 195 Il est inutile d'y revenir ici, mais nous rappellerons au besoin quelques conclusions précédemment tirées. Un premier balayage permet de vérifier que le scripteur est partout dans son texte, visible sous divers traces. Trois scripteurs ont fait figurer "un titre" et pour Françoise.Sagan son identité ressort très clairement en haut et en bas de la missive. Elle seule peut bénéficier grâce à son nom d'une représentation spontanée. Les autres personnes doivent imposer phrase après phrase, utilisant tour à tour la grammaire, la syntaxe, le lexique, la stylistique et la rhétorique. On imagine alors la difficulté pour élaborer une grille pertinente rassemblant tous ces domaines particuliers. Par contre, les lettres (6) et (7) émanant de demandeurs d'emploi entrent dans une telle grille. lV. 2. LES ROLES ET LES QUALITÉS Dans six missives le scripteur a pris la peine de préciser le rôle qui fondait son discours. Nous remarquons deux fois une assertion: je suis habitante du quartier de (11) Je suis propriétaire (17) Le premier mot du prédicat: de nombreux étudiants (2) Une focalisation: en tant qu'auteur- photographe (26) Un complément du nom: notre inquiétude de parents (23) Une métaphore: émule de Madame de Sévigné La variété de tours qui joue sur une place grammaticale ou en effet de style est déjà remarquable. Dans tous les autres cas, lorsque le rôle n'était pas expressément notifié, nous avons pu le déduire en établissant des champs lexicaux révélateurs de domaines propres. Nous avons déjà évoqué cette richesse de notre corpus à propos de l'analyse situationnelle. Nous observons plus précisément la lettre (2): QUI? Où? des personnes leur travail l’université le secrétariat emploi du temps étudiants diplôme inscription crénaux horaires maîtrise administrative salariés déplacement enseignants UV libres numerus clausus disponibilité stage obligatoire recrutement les coursmercredi=jour de liberté Ces relevés montrent le recours à un lexique de spécialité possédé par les familiers du domaine. Des verbes pivots fortement marqués, instaurer, imposer, interdire, ou le nom voisin, entrave, les temps, présent 196 pour la situation de crise, plus-que-parfait pour les faits antérieurs que l'on dénonce vigoureusement avec le passif, les appréciations subjectives, coûteux, réels sacrifices, les négations appuyées ne jamais, en aucun cas, tout cela permet d'inférer une représentation complète de scripteurs laborieux et méritants, touchés au plus fort de leurs bons droits et réagissent avec vigueur. Ils se sont donné le titre d'étudiants, mais aussi celui d'enseignants. C'est bien ce rôle supplémentaire qu'ils jouent, les autorisant à se mettre presque de pair avec leur destinataire-confident. Ce type de recherche, plus ou moins riche selon les contextes, nous a donné les éléments de qualités, mais aussi la certitude des rôles supplémentaires joués. V. REPRÉSENTATION DU DESTINATAIRE V. 1. GÉNÉRALITÉS Ayant longuement développé par un tableau commenté la représen- tation du scripteur, nous nous contenterons d'une analyse plus rapide concernant le destinataire. Nous savons d'avance que d'autres parties de notre recherche permettront d'affiner l'ébauche donnée ici. Lors de l'étude des procédés argumentatifs, des commentaires et de la requête, nous reviendrons forcément sur l'image du destinataire. Le scripteur est une personne unique, même s'il s'agit d'un groupe s'exprimant en une seule voix (2). Un seul contexte nous a montré un enchâssement de représentations de scripteurs: les huissiers et leurs clients, les plaignants (8). Avec la personne du destinataire, nous abordons un point de vue nouveau et complexe. Deux personnes, ou même plusieurs, peuvent être réunies sous l'appellation de destinataires. V. 2. L'IDENTITÉ DU DESTINATAIRE Une première recherche consisterait à distinguer quelle personne est réellement le destinataire. Le cas le plus simple est celui de l'être humain connu du scripteur, et auquel il adresse sa plainte: par exemple M. Lévy pour Françoise Sagan, un gérant d'immeuble pour un propriétaire d'appartement, ou encore un marchand de chaussures bien connu de sa cliente régulière. Le rôle du destinataire est alors double: il est confident et "accusé" au centre de la plainte. Un destinataire plus complexe est une employée du secrétariat de la Mairie du IIIéme. Qui est cette personne? Qui lira cette lettre? Où se situeront l'écoute et la compétence face à la plainte? La question est importante, et beaucoup de nos lettres s'adressent à des organismes dont on déplore "les 197 services" sans incriminer un être humain. L'employé d'Air France qui lit les reproches faits par un voyageur n'est en rien concerné personnellement même si les propos adressés font mal la différence: la frontière est difficile à déceler, et à ne pas franchir... pour le scripteur. Cet enchâssement de personnes, puis de responsabilités hiérar- chisées, offre plusieurs niveaux de représentations. La personne qui écrit au directeur d'une caisse de retraite (21), donne une image positive de son destinataire. Celui-ci est à l'avance remercié pour sa compétence et sa rapidité. En même temps, ce directeur a dû lire et reconstruire la repré- sentation négative d'une dame, chef de l'un de ses services. Là encore, il faut avancer avec précaution pour saisir les subtiles imbrications V. 3. COMPOSANTS DE CETTE REPRESENTATION Un tableau à forte connotation négative se dégage des faits narrés, des situations décrites, et même des personnes incriminées. Nous signalons que le défaut le plus dénoncé est la lenteur, puis viennent l'incompétence et l'injustice rencontrées plusieurs fois. Nous citons ensuite pêle-mêle: l'agressivité, l'intolérance, l'arbitraire, l'incohérence, l'inorganisation, l'indéli- catesse, le bruit, la stupidité, le mensonge, l'erreur, la dureté, l'absence de rigueur, le manque d'hygiène, le vol, la rupture du contrat, l'inaction, le zèle intempestif, le manque d'esprit pédagogique... Certains termes ont été donnés par les scripteurs eux-mêmes. Ose-t-on accuser directement une personne? Notre corpus répond par la négative à cette question et montre des scripteurs mesurés même s'ils s'adressent directement à celui qu'ils accusent. C'est le cas des missives (8), (10), (15), et (22). Je trouve cela injuste (22), écrit la plaignante à son dentiste, et non Je vous trouve injuste. Cependant si la plainte est envoyée à un supérieur hiérarchique de l'accusé, l'on se permet des appréciations moins mesurées: Je m'étonne que Madame X ait pu tenir des propos désobligeants et parfaitement déplacés (21). Mais l'énoncé qui remplacerait Madame X par vous est peu imaginable. Un corpus plus élargi permettrait probablement des hypothèses plus approfondies. CONCLUSİON Les réticences face à l'écrit n'ont jamais été visibles sauf en ce qui concerne les conditions de production de la missive (9), confiée à des spécialistes du droit. Les excès, les débordements de colère imaginables dans 198 certains contextes délicats ont été atténués par les moyens linguistiques appropriés. Le rituel épistolaire, toujours modérateur, s'est appliqué aux demandes effectuées en situation de crise. Les représentations négatives ont dominé l'ensemble, mais ce pessimisme n'a pas glissé vers la rancœur ou l'aigreur. On dénonce, constate, commente et interroge régulièrement, on menace seulement trois fois de recourir à des instances supérieures. Ce savoir-faire et cette pondération sont probablement dûs à l'origine de notre corpus: les scripteurs appartiennent à des catégories socioprofessionnelles exigeant des certifications supérieures. Il s'agit seulement pour ces personnes de jouer au mieux, avec l'écriture, le rôle de justicier. Les macro-actes essentiels au type de lettres sont apparus clairement dans les domaines où, à l'avance, est prévue la possibilité d'une plainte ou d'une réclamation. Les manuels de savoir-écrire jouent sur ces régularités pour présenter leurs modèles. Les actes de paroles informer, demander, et éventuellement menacer tracent le cadre des interactions. A leur centre se trouve un objet toujours évaluable, et le préjudice cessera avec le dédommagement. En revanche, lorsque l'être humain est au centre de la plainte (qui ne glisse pas forcément vers une requête), les macro-actes se diversifient et s'instaurent un subtil jeu d'actes hiérarchisés. Lorsqu'il s'agit de parler de tout ce qui appartient intimement à chacun, (la famille, la santé, les études, les ressources financières, l'environnement, le courrier, etc.), on entre dans un domaine plus flou où informer devient raconter, se raconter, avec par exemple l'apparition du passé simple. Les énoncés se compliquent singulièrement, mais les réalisations linguistiques se trouvent riches de faits dont l'analyse de discours pourra efficacement rendre compte. Au moyen des repérages des formes linguistiques à la surface des textes nous avons essayé de voir comment le discours affirme pour persuader tout en mettant en scène une certaine perception du locuteur sur la réalité à partir de ce qu’il choisit de dire. BIBLIOGRAPHIE SELECTİVE 1. Courtes, J. Greimas, A-J. Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage 1 et 2, Hachette Paris 1979. 2. Charaudeau, P. Langage et discours, éléments de sémio-linguistique, Hachette Paris 1983. 3. Debyser, F. Exprimer son désaccord in Le français dans le monde No:153 Paris Hachette. 4. Ducrot, O. Dire et ne pas dire, Hermann Paris 1972; Le dire et le dit,s Minuit paris 1984. 199 5. Foucault, M. L'archéologie du savoir, Gallimard Paris 1969. 6. Grize, J-B. Logique et langage, Ophrys Paris 1990. 7. Gofman, E. Rites d' interaction, Minuit Paris 1974. 8. Hamon, P. İntroduction à l'analyse du descriptif, Hachette Paris 1981. 9. Jakobson, R. Essais de linguistique générale, Minuit Paris 1963. 10. Kerbrat-Orechioni, C. L'énonciation de la subjectivité dans le langage, A. Colin Paris 1980. 11. Kıran, A. La constitution du sujet et de sa subjectivité à travers le parcours génératif, in Frankofoni No: 7 Ankara 1995. 12. Maingueneau, D. Approche de l'énonciation en linguistique française, Hachette Paris 1981. 13. Maingueneau, D. Pragmatique pour le discours littéraire, Bordas Paris 1990. 14. Maingueneau, D. L'analyse du discours, Hachette Paris 1991. 15. Todorov, T. Mikhaïle Bakhtine, le principe dialogique, Seuil Paris 1981. 16. Vignaux, G. L'argumentation: essai d'une logique discursive, Droz Genève 1976. 200