UludSO Üniversitesi ~Itim Fakülteleri Dergisi Ci lt: IV, Sayı: 1, 1989 Ankara Dans La Litterature Française * Hasan ANAMUR•• RESUME Istanbul a ete dans la litteratıue française, durant des siecles, le symbole de la Turquie. On constate, toutefois, qu'a partir des annees de la Guerre d'Indipen- dance turque, une autre vi/le, Ankara, y gagne sinon plus du moins autant d'impor- tance qu'Istanbu4 en tanı que symbole de la Republique et des refonnes d'Atatürk. Nous signalons dans cette etude, dans les limites d'une communication, cette situa- tion nouvelle et /'opposition symbolique creee entre ces deux vi/les. ÖZET Yüzyıllar boyunca Fransız yllZlnında istanbul Türkiye'yi simgeleyen bir kent olmuştur. Ancak Türk Bagımsızlık Savaşı dönemlerinden başlayarak Ankara'nın da, aynı yllZlnda, en az istanbul kadar önem kazandlgı ve Cumhuriyet Türkiyesi ile Ataıürlc devrimlerinin simgesi oldu~ görülmektedir. Bu JtlZlda, bir bildiri sınırlan içinde, bu yeni durumu ve Ankara-lstanbul simgesel karşıtlıgı örneklerle açıklan­ maktadlr. • Commwıication presentee au Colloque sur /es "Relations reciproques entre la Turquie et la France", organise par I'Association cu/turelle Turquie-France, Ankara, 2-4 Avril 1987. •• Professeur de Litterature française a la Facu/te de Pedagogie de I'Universite Uludag. - 11 - Le sujet que je vais traiter: "Ankara dans la litterature française", peut pa- raitre au premier abord plutôt paradoxal, car nous avons tous le reflexe mental de nous referer tout de suite a Istanbul lorsqu'on parle de l'im.age d'une ville turque dans la litterature française. Pourtant, comme j'essaierai de le montrer dans cet expose, Ankara, de son côte, occupe, dans les ouvrages publies en France a partir de 1921, une place sinon plus du moins tout aussi importante que celle d'Istanbul. Et, pour cette raison, je me vois oblige de delimiter mon sujet par l'image d'Ankara des annees de la Guerre d'Independance turque, pour pouvoir respecter le quart d'heure qui m'est departi. Cette delimitation ne me permet pas d'etudier des ouvrages aussi importants que ceux de Georges Simenon, de Maurice Bedel, de Claude Farrere, d'Edouard Herriot, de Georges Duhamel et de Jean Cocteau. Une autre raison m'incite a cette delimitation: l'image d'une ville ou d'un pays n'etant pas une constante composee de donnees invariables et d'impres- sions immuables, mais presentant des caracteristiques changeant dans le temps, le choix d'une epoque determinee coınme celle de la Guerre d'Independance, peut nous permettre de proceder a une etude synchronique de l'image d'A nka- ra. Je dois dire aussi que dans cet expose, j'emploie le terme "litterature" dans son sens le plus large, et que je considere coınme oeuvre litteraire, les re- cits de voyage, les memoires et les reportages au meme titre que les ouvrages de fiction. Nous savons tous que l'histoire d'Ankara cemonte a l'epoque hittite; que cette ville est celebre par le temple d'A uguste et le testament de cet empereur, grave sur ses murs; celebre aussi par sa citadelle, tout autant que ses chats et ses chevres "angora". Nous savons aussi que cette ville etait, dans l'Antiquite, l'une des plus importantes de l'Anatolie. Mais nous ne savons peut-etre pas qu'Anka- ra etait la capitale des Gaulois etablis en Anatolie centrale. L'un des ecrivains que nous etudierons dans cet expose, Alexandre Raymond, a consacre a ce sujet un livre intitule: Une vi/le celebre: Angora, publie en 1924. Dans ce livre, Alexan- dre Raymond fait commeneec l'histoire d' Ankara a une date precise, en 240 av. J-Ch., avec "Brennus, celebre chef des Gaulois", qui y a fonde une republique avec ses "Gaulois tectosages etablis en Asie Mineure" (Grand Larousse Encyclo- pedique), qui accepterent finalement l'hegemonie romaine. La region ob vivaient ces Gaulois etait appelee la Galatie. "Le decret imperial", ecrit Alexandre Ray- mond, "qui inscrivit la Galatie au nombre des provinces de l'Empire romain, eleve Angora (Ancyrc) au rang de la metropole de toute la Galatie. Les deux autres chefs-lieux de la Republique gauloise, Tavium et Pessinunte, tomberent en decadence apartir de cette epoque" (A. Raymond, 6). Cette republique gau- loise disparut, d'apres cet ecrivain, en 189 av. J.-Ch. A cette date, "Manlius, cansul romain marcha contre les Galates, battit complement les Gaulois, qui, vaincus malgre une resistance acharnee, firent soumission aux Romains" (A. - 12 - Raymond, 7). Nous pouvons done noter des maintenant que la capitale de la Republique turque avait ete, il y a plus de deux millenaires, la metropoJe d'une Republique gauloise; ou du moins, que cette lointaine parente est soulignee par l'un des premiers livres sur Ankara. Mais Ankara connait, dans les siecles suivants, une rapide decheance et devient, sous l'Empire ottoman, presqu'un bourg insignifıant. Et elle est prati- quement inexistante dans la litterature française jusqu'a la Guerre d'Indepen- dance turque. Jusqu'a cette epoque, en effet, ni Montesquieu qui a fait traverser a ses Persans toute l'Anatolie de l'Est a l'Ouest; ni Andre Gide qui y a voyage deux siecles plus tard, a la veille de la Premiere Guerre mondiale (l'itineraire de Gide comprend "Constantinople - Brousse - Nicee - Eski - Cheir - Afıoun Kara- Hissar - Konialı - Ephese - Smyrne"); ni Maurice Barres qui a traverse a la meme epoque l'Anatolie d' "Antioche a Constantinople via Koniah", n'ont men- tionne Ankara. Le nom d'Ankara apparait, a notre connaissance, pour la pre- miere fois, et sous la forme d' "Angora", sa forme française, dans la Description de l'Asie Mineure de Charles Texier, parue en 1839. Cet ouvrage cst une etude scientifıque faite par ordre du gouvernement français. Le nom d'Ankara appa- rait aussi, toujours sous sa forme française, a une vingtaine d'annees d'intervalle, dans deux autres ouvrages ecrits tous les deux par Georges PerroL Le premier de ces ouvrages, publie en 1862, est un ouvrage d'intention scientifıque: Explora- tion archeologique de la Galatie et de la Bithynie; et le second, publie deux ans plus tard, est un recueil de souvenirs et il peut etre considere comme le premier ouvrage non-scientifıque ou litteraire ou Ankara occupe une certaine place. Cet ouvrage est intitule: Souvenirs d 'un vayage en Asie Mineure (1864). Le nom d' Ankara apparait aussi en 1884 dans le neuvieme volume consacre a l'Asie Mi- neure de la Geographie universelle d'Elysee Reclus et, en 1892, dans la Turquie d'Asie de Vital Cuinet, qui sont tous les deux, des ouvrages scientifıques. Remarquons que dans to us ces ouvrages le nom d' Ankara est ecrit so us sa forme française d' "Angora". Cette forme sera maintenue dans tous les livres publies pendant les annees de la Guerre d'lndependance et jusqu'aux annees 30. Je ne m'arreterai pas ici sur l'etymologie de ce mot qui est de nature a soulever d'interessantes controverses. On peut done dire qu'Ankara ne fait sa veritable entree dans la littera- ture française qu'avec la Guerre d'lndependance turque, pendant laquelle elle devient la capitale du mouvement anatolien. On peut meme donner une date precise po ur la premiere description d' Ankara dans cette litterature: cette des- cription se rencontre dans l'article de Berthe-Georges Gaulis intitule "Dix jours a Angora", publie dans la Revue de Paris du ler aofıt 1921. Berthe-Georges Gaulis est le premier ecrivain français qui reussit a voya- ger jusqu'a Ankara et a y faire plusieurs sejours dont le premier en mai 1921. Elle y reviendra cinq mois plus tard pour y rester un mois et demi et cette fois elle sera l'invitee de Mustafa Kemaf C'est dans l'article sur son premier voyage - 13 - ·a Ankara qu'elle doiıne la premiere description de cette ville telle une photo prise de la fenetre de son compartiment dans le train qui l'amene a Ankara: "Angora apparaissait au loin, sur le som.met d'une colline, dans l'eblouissement de ce matin de mai. La vieille forteresse asiatique, les vives aretes de ses de- fenses dominaient le plateau que no us achevions de franchir" (D ix jours a Ango- ra, p. 474). Dans cette premiere description d'A nkara qui est assez schematique, on trouve les princepaux traits que cet ecrivain developpera dans ses ouvrages ulterieurs sur la Turquie. Ainsi dans La Nouvelle Turquie qu'elle publiera en 1924 et dans laquelle elle relatera les impressions de ses deux premiers voyages a Ankara, on rencantre une autre description rappelant le passage cite ci-des- sus, revu et developpe: "( ...) enfın la ville apparaissait au loin com.me je l'avais vue a mon premier voyage, solidement enchassee sur sa colline, entre ses anti- ques defenses aux aretes precises. Elle etait tour a tour tumineuse et farouche, selon que les nuees se levaient ou se baissaient, couvrant d'ombre ses toits gris, ses murs couleur de cendre et ses pierres aigues" (La Nouve/le Turquie, pp. 212- 213). La ciladelle d' Ankara, autour de laquelle etait alors situee la ville, est le premier element visuel qui frappe tous les ecrivains qui arrivent a Ankara par chemin de fer. Quatre autres ecrivains français obtiendront a leur tour l'autorisation de sejourner a Ankara pendant la periade de la Guerre d'Independance. Ce sont: Jean Schlicklin, Alexandre Raymond, Paul Gentizon et Maurice Pernot. Remar- quons tout de suite que cette autorisation n'etait pas facile a obtenir. Berthe- Georges Gaulis, que les gens d' Ankara appelaient Mme. Gaulis, groupe en trois categories les hôtes auxquels s'ouvraient alors Ankara: "les amis d'Orient et d'Occident venus pour se rendre compte en toute impartialite, en toute conscience; les indesirables, agents anglais, sous toutes leurs formes, reperes, en general, des Constantinople ou Ineboli: et attires dans la souriciere; enfın, les compatriotes hesitants, indecis, que le seul nom d'Angora aurait du suffıre aral- ller" (Angora-Constantinople-Londres, p. 165). Le deuxieme ecrivain français qui reussit a sejourner a Ankara est Jean Schlicklin, correspondant du Petit-Parisien, qui publie en 1922 une relation en- thousiaste intitulee Angora. L 'Au be de la Turquie nouvelle. Schlicklin est entre en Anatolie en mars 1922 d'lnebolu et arrive a Ankara au debut du mois d'avril pour y rester "quelques semaines (p. 106) avant d'entreprendre de "longues se- maines de vayage a travers l'A natolie" (p. 107). Les impressions de Schlicklin peuvent etre resumees par cette expression, interessante aussi par le fait qu'il considere deja Ankara comme la capitale de la Turquie: • Angora est sans doute la plus extraordinaire capitale du monde" (p. 103). Une autre observation inte- ressante de cet ecrivain est le rapprochement qu'il etablit entre la citadelle d'Ankara et les caracteristiques des bourgs français: "La calline est surmontee par les ruines d'un chateau et d'une muraille d'enceinte qui ressemblent fort a nos bourgs moyenageux" (p. 104). - 14 - Les trois autres ecrivains français arrivent a Ankara en 1923. A cette epo- que les operations militaires sont tenninees, l'Anatolie est liberee, mais la situa- tion politique reste encore precaire; la Guerre d'Independance n'est pas encore terminee. Et ces ecrivains assisterons temoins a la proclamation de la Republi- que. Le premier de ces ecrivains est un architecte, Alexandre Raymond, dont le livre deja cite est un ouvrage qui situe Ankara dans son passe et son present, çle "l'antique Ancyre depuis Brennuns, ce/ebre chef des Gaulois (. .. ) jusqu'au chef ce/ebre Moustapha Kemal Pacha, renovaleur de la Turquie". A Raymond decrit ses premieres impressions d'une façon qui rappellent celles de Schlicklin citees plus haut: "Dominee par les murailles denteltes de son vieux chateau, la cite presente au loin un aspect original et pittoresque. Cette impression ne s'efface pas quand on s'approche" (p. 7). Le deuxieme ecrivain français qui etait en 1923 a Ankara est Paul Genti- zon, correspondant du Petit-Parisien et du Temps. Du train, la ville lui apparait comme entouree "d'une mer infınie de collines seehes et tourmentees. (Et) dans une depression, Angora se deploie autour de sa vieille citadelle" (Mustapha Ke- mal, p. 227). P. Gentizon donne une longue description de cette ciladelle (p. 317). Le dernier ecrivain français qui etait vers la meme epoque, entre aout et novembre 1923, a Ankara, est Maurice Parnot. Lui aussi est influence par le meme paysage: "Bientôt apparait", ecrit-il, "barrant brusquement la plaine, une citadelle farouche que de hautes murailles a demi-ruinees enserrent d'une triple ceinture rouge-sombre: plus bas, au flanc la rolline rocailleuse, s'accrochent des maisons grises, entre lesquelles emergent quelques minarets blancs ou de rares bouquets d'arbres: c'est Angora" (La Nouvel/e Turquie, p. 305). Les memes ecrivains ont decrit le decor et la vie de !'Ankara de ces an- nees. On trouve meme chez Mme Gaulis la description de l'emplacement de la maison ou elle etait logee pendant son premier sejour: "La maison ( ... ) se trouve dans le grand quartier de l'ancienne ville decimee par la feu" (Le Natio- nalisme turc, p. 129). "Mes innombrables petites fenetres donnaient sur une place a demi-detnıite par le feu, dont j'aimais l'exquise fontaine; la grand-route qui montait vers les vilayets orientaux et prolongeait l'artere centrale d'Angora, s'amorçait dans les ruines ( ... ) Les collines abruptes qui enserrent la ville bar- raient l'horizon" (Dix jours, p. 485). Mme Gaulis decrit aussi l'interieur de cette maison qui avait "huit petites fenetres, (une) porte peinte en bleu ciel, (un) mur egalement bleu, (un) escalier aux marches raides, (et un) salon meuble a l'orien- tale" (Ibid, p. 478). Cette maison preparee a l'intention de Mme Gaulis par le gouvernement represente tout le confort qu'on pourrait avoir alors aA nkara qui n'etait a cette epoque qu'une petile ville de 35.000 habitants. En effet, cette Ankara est, d'apres la description de Schlicklin, une ville ou "les pauvres maisons grises, construites en terre gachee et en bois s'etagent - 15- jusqu'au has de la pente, et composent une couronne presque complete a la col- line, ( ...) une cite desalee ou les edifices modemes sont rares, (et oiı) une popu- lation trop dense se presse oiı plutôt s'ecrase" {p. 104}. P. Gentizon qui y observe de son côte un "pitoyable aspect de decheance et de tristesse" (p. 814), trace presque le meme tableau que Schlicklin: "Les ha- bitations ( ... ) sont faites de briques de terre argil'euse comprimtes sur place et malhabilement ajustees entre quelques planches et poutres qui restent appa- rentes". Gentizon considere les vieux quartiers d'Ankara comme un "veritable potme de oıisere": "Ruelles humides epousant l'irregularite chaotique du sol; masures branlantes, huttes defoncees et de guingois, terrains vagues, murs ecou- les, auberges en ruine, trous, flaques d'eau, detritus, immondices, et, dans cet ef- froyable delabrement, l'affarante boheme d'une foule en haillons" (313). Cette ville ne ressemble pas du tout, d'apres Gentizon, aux capitales ottomanes: "Dans le vieux quartier", ecrit-il, "( ...) rien de la physionomie avenante, du charme connu des cites turques. Pas de cafes a l'ombre des platanes, pas de fontaines aux eaux chantantes, ( ... ) aucune de ces magnificences d'architecture sacree qui font le charme d'Andrinople, de Stamboul et de Brousse" (313). Cette comparaisan met en relief une opposition frappante entre l'aspect des anciennes capitales turques et la nouvelle. Cette oppasition se voit d'abord dans la conception architecturale: "Le genre de construction employe dans cette partie de l'Anatolie\ ecrit P. Gentizon "continue depuis la plus haute Antiquite" (p. 314}. Cette observation est partagee par les quatre autres ecrivains qui consi- dereot tous Ankara comme une ville asiatique, representant des caracteristiques opposees a l'image ottomane. Les caracteristiques de la vie a Ankara dans ce decor desale et dans ces conditions difficiles sont de nature a renforcer cette impression. En effet, Anka- ra laisse sur Mme Gaulis, en 1921, l'impression d'une ville creee par "l'adroit agencement des installations de fortuoe (Dix jours, p. 475), d'un "campement adroitemant organise (avec) quelques constructions de pierre hativement affec- tuees (et) des tentes qui recouvrent les collines, les grands espaces libres" (Le Nationalisme turc, p. 127}. J. Schlicklin constate de son côte que "personne n'est ason aise ( ... ) dans cette jeune capitale ( ...) surpeuplee". "Plus de trois cents de- putes", ecrit-il, "se sont installes comme lls ont pu. Beaucoup d'entre eux, apres avoir vecu pendant des mois en dortoirs, se contentent d'une miserable chambre ou lls dorment sur un divan recouvert de tapis. ( ...) Bien peu de privilegies avaient reussi a faire venir leurs familles aupres d'eux et a trouver un logis" (p. 106-107). L'Ankara de ces annees est pour P. Gentizon un "gros viiiage incooforta- ble, inhospitalier et malsain". "C'est dans ces logis inhospitaliers que plusieurs dizaine de milliers de personnes accrues pour participer au mouvement national durent, des 1920, se loger au petit bonheur, acceptant benevolement un genre de - 16- supplice que les ouvriers de nos grandes agglomerations se refuseraient de sup- porter" (p. 314). Au sud, sur une autre colline se situe Çankaya ou se trouve la residence de Mustafa Kemal, une maison modeste entouree d'autres maisons de cam- pagne dont l'une etait mise a la dispositian de Mme Gaulis durant son deuxieme sejour. Voila la description qu'elle a faite de Çankaya: "Parnıi les vignes, des maisons s'elevent, charmantes, toutes simples, chacune ayant sa note bien a elle. Ce sont les "cabanes", mi-chalets, mi-villas, autour desquelles se promenent des jeunes femmes au visage decouvert, soit a pied, soit a cheval; un voile recouvre leurs cheveux. Tchan-Kaya conserve encore les privileges de la campagne" (An- gora-Cons. p. 40). Ankara oi'ı meme les dirigeants et le chef du mouvement de liberation vi- vent dans des conditions difficiles est consideree par les ecrivains français comme la ville de Mustafa Kemal, la ville qui symbolise la lutte pour l'indepen- dance. Elle esfle symbole de l'energie et de la volonte en meme temps que du devouement et du sacrifice. La fascination qu'y decouvre Mme Gaulis provient peut-etre de cette caracteristique. "Qui pourrait dire", ecrit-elle, "d'oiı lui vient cette fascination ( ... )? Est-ce vraiment parce qu'elle ne ressemble a aucune au- tre, que, des vestiges de son passe, se degage une force etrange? Serait-ce l'acui- te de sa lumiere seche, coupante comme ses aretes rocheuses? je ne sais; mais l'air qu'on y respire contient des effluves dont tout l'etre s'impregne et qui en decuplent la vitalite. Angora, malgre l'accumulation de ses ruines, est belle et vi- goureuse comme si les deux Anatolies, l'occidentale et l'orientale, venaient s'y fondre leur seve" (La Nouve/le Turquie, p. 213). Ankara ne ressemblait, en effet, a l'epoque, a aucune autre metropole. "Ici, pas d'indulgence", ecrit Mme Gaulis, "pas de flanerie, de dillettantisme: une dure et impitoyable regle pour chacun. Sauf le travail, tout etait a peu pres in- terdit. L'atmospbere avait une apre saveur; elle etait magnifıque, depouillee, ex- cessive. Quel foyer d'energie que cette ville aux remparts aigus, comme decou- pes par une fıne lame d'acier, aux ruines evocatrices d'un passe gigantasque, aux foules chargees d'avenir" (Angora-Cons., p. 106). "Angora ( est aussi)", toujours d'apres l'expression de Mme Gaulis, "floraison d'un Orient nouveau, libere je son ancienne pompe, de ses robes somptueuses, de ses haillons colores: c'etait l'expression meme d'une transformatian profonde qui couvait depuis si long- temps et que l'ignorance europeenne, attardee aux cantes des Mil/e et Une Nuits, ne voulait pas encore admettre" (Ibid., p. 105). Jean Schlicklin voit de son côte dans "cette terre de l'independance" (p. 86), "le miraele de la volonte et du devouement" (p. 87) ~t "l'unanimite nationale pour la lutte sacree" (p. 82) et il constate que "la Turquie d'aujourd'hui (1992) (representee par Ankara), n'est pas la Turquie de 1918" (p. 69). Pour P. Gentizon Ankara est le symbole "d'un sursaul heroıque de vi tali- te" (p. 8); et pour M. Pernot, elle est "la ville heroıque" (La Question turque, p. - 17 - 100) du "magnifique effort accompli, durant la guerre d'independance, par le peuple d'A natolie" (La Nouvelle Turquie, p. 652). Cette ville situee done dans une "nature ( ...) sauvage (et dans un) paysage hostile, (et meme dans) un desert", d'apr~ l'expression de M. Pernot (Ibid, p. 305), represente des caracteristiques qui s'opposent a eeltes de l'image tradition- nelle de la Turquie representee dans la litterature française par Istanbul dont "l'atmosphere molle, plastique, ( ...) berce", selon l'expression de Mme Gaulis, "la paresse, endort l'action, agit sur l'organisme comme une sorte d'opium aux douces reactions" (Angora-Cons. p. 190). Tandis qu'Istanbul represente, toujours selon l'expression de cet meme ecrivain, "les ruines d'hier" (Ibid, p. 68). Ankara represente "les jeunes ponsses gonflees de seves qui formeront bientôt la foret nouvelle" (Ibid, p. 68). Nous pouvons dire done pour terminer qu'Ankara occupe une place non negligeable dans la litterature française et qu'elle y apparait comıne l'antago- niste d'Istanbul. Les ecrivains français qui ont ete a Ankara pendant la Guerre d'lndependance, ont tous constate les differences caracteristiques de ces deux villes et ils ont presente Ankara comme le symbole de l'avenir. L'image d'Anka- ra de cette epoque est done dans la litterature française, celle d'une nouvelle ca- pitale qui se cree dans une nature hostile et pendant une guerre achamee, par la volonte des hommes qui ont choisi une vie de sacrifice et de devouement pour realiser un ideal commun. BIBLIOGRAPHIE ı. BARRES, Maurice: Une Enquete aux pays du Levant, Paris, Plon-Nourrit, 1923, 2 vol., 312 et 247 pp. 2. 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